Centenaire des Cités ouvrières Roussillon/Salaise-sur-Sanne

Dimanche 15 mai, les Cités ouvrières Roussillon/Salaise-sur-Sanne ont célébré leur centenaire.
Un parcours pédestre a été inauguré et une déambulation a permis aux participants de découvrir le quartier historiques des Cités. Ont suivi l’inauguration de la fresque située sur le mur du foyer Grumbach et un moment convivial avec l’orchestre « No name ».

Discours de Gilles Vial, maire de Salaise sur Sanne
« Centenaire des Cités.
Bonjour à toutes et à tous
Enfant des Cités je suis personnellement ravi de pouvoir m’exprimer à l’occasion de ce centenaire lors de l’inauguration de ce circuit serpentant sur les communes de Roussillon et de Salaise. Je remercie bien évidement tous les membres de l’association des Cités qui ont beaucoup travaillé pour que nous soyons là aujourd’hui.
Pour préparer ces quelques mots, j’ai repris les ouvrages de Barbara CONTOU CARRERE, ethnologue et de François DUCHENE, chercheur en géographie sociale à l’école nationale des travaux publics de l’Etat (ENTPE) qui ont travaillé sur l’urbanisation, sur les liens entre villes et industries de notre territoire. Oui, des scientifiques se sont intéressés à notre histoire et ont mis en valeur nos spécificités.
Le cœur de notre agglomération constitue un site exceptionnel proche du Rhône, de sa ressource en eau et desservi par les voies de chemin de fer, RN 7 et autoroute. Le quartier des Cités est délimité et contraint par ces voies de communication.
Faut-il le rappeler que notre agglomération s’est construite et a fortement été influencée par les usines chimiques et textiles. C’est en juillet 1915, pour répondre à l’effort de guerre que la société chimique des usines du Rhône (la S.C.U.R) obtient du ministère des Armées une importante commande de phénol et décide de construire une nouvelle usine à Roussillon à l’écart des villages habités.
La production de guerre a donné naissance à l’actuelle plate-forme chimique de Roussillon. En 1918, ce sont 1053 ouvriers qui travaillent sur ce site.
L’évolution du site après la guerre conduit à un repli des activités, il ne reste que 304 ouvriers à l’usine la S.C.U.R en 1920. A partir de 1922, la synthèse de dérivés acétiques oriente durablement l’usine vers la production de matières plastiques (films et rhodoïd). A partir de 1923 se crée la filature Rhodiaceta puis l’usine d’acétate du Péage de Roussillon qui fournit à la filature l’acétate de cellulose, la matière première dont elle a besoin.
La question d’une main-d’œuvre disponible pour l’usine se pose très rapidement. Notre agglomération se situant aux confins de plusieurs départements, l’usine a embauché dans cette industrie des « bataillons » d’Ardéchois, de gars de la Loire, de la Drôme et même de la Haute-Loire. Cependant, il faut « fidéliser » l’ouvrier sur place pour reconvertir l’industrie de guerre roussillonnaise dans une industrie civile performante.
L’habitat disponible autour de ces usines est très insuffisant pour répondre aux besoins de logements nécessaires au développement du site chimique. Les industriels vont alors investir pour loger les ouvriers, en aménageant l’espace de notre territoire sans se soucier des limites administratives.
L’édification de quartiers autour de l’usine marque nettement une volonté de segmentation des espaces où l’habitation reproduit les hiérarchies sociales en vigueur dans l’usine. Autrement dit, c’est un aménagement intégrant une ségrégation sociale dans la dimension spatiale sur lequel s’est bâti une partie de notre agglomération.
Ce quartier, à juste titre, a été perçu comme lié à l’usine. C’était une ville dans la ville. Les travaux des chercheurs montrent le rapport entretenu par les ouvriers à cet espace en mettant en exergue les forts sentiments d’appartenance existant dans ces Cités puisque la vie de l’usine se mêlait à la vie du quartier. C’est ainsi qu’il y a eu, de la part des habitants, une forte appropriation de ces lieux, car ce fut également un facteur de solidarité, d’enracinement, de reconnaissance et d’identité forte. Ils ont été des sujets actifs de la vie sociale car chacun de ses membres arrimaient sa vie à toute la communauté.
Bien sûr, les cités permettaient d’habiter à proximité du travail. Cependant, s’agissant d’une industrie chimique, l’activité est aujourd’hui soumise au plan de prévention des risques technologiques.
L’usine et les collectivités publiques dans le cadre de la réduction de la vulnérabilité aux risques industriels ont accompagné les propriétaires concernés dans la mise aux nouvelles normes de leurs logements à travers un dispositif de financement le PARI. Cela a été un engagement fort de tous : communes, intercommunalité, le Département, la Région, de l’Etat et industriels concernés.
Nous avons été pilote sur ces sujets si sensibles et ce montage est pris en exemple pour d’autres territoires.
Ce quartier a un aménagement cohérent et structuré, économe en foncier. Les voies internes des Cités révèlent cette logique d’aménagement du territoire de l’usine par l’alignement géométrique des 1er, 2ème, 3ème, 4ème, 5ème avenue à l’ouest de la RN7 et conçu de manière identique pour celles des Cités de la soie.
Cet habitat a permis aux ouvriers agricoles reconvertis dans l’industrie de gagner en confort et en commodités. C’est un habitat intermédiaire, comme on dit aujourd’hui, qui a permis à beaucoup d’habiter en pavillon.
La sortie des usines et le nombre de vélos qui submergeaient alors les avenues bordant l’usine, c’est une image que l’on aimerait revoir aujourd’hui. Réduire la distance domicile travail et permettre à plus de travailleurs de se rendre au travail à pied ou à vélo est un des défis que nous devons relever.
Mais la réussite de ce quartier provient surtout de l’existence de lieux de rencontre, de lieux de vie en commun. L’occupation faite par chaque génération de jeunes de l’espace appelé « les pelouses ». Je pourrai vous raconter mille souvenirs comme celui de ma grand-mère qui, l’été, en début d’après-midi prenait son siège pliant, son petit-fils avec son tricycle et allait rejoindre ses amies de son âge des Cités, sous la fraîcheur des marronniers sur les pelouses pour tricoter et échanger des informations et anecdotes discuter de la vie, bref, passer un bon moment…
L’établissement socio-culturel constitué d’une bibliothèque et d’un centre ménager, un centre social et sanitaire « la goutte de lait », un centre d’apprentissage, une chapelle et un cinéma ont permis une vie de quartier.
De même, les infrastructures sportives du Rhodia au sud, modernes pour l’époque donnent au quartier la configuration que nous lui connaissons actuellement. Bien sûr, au fil du temps, le quartier a connu quelques déconstructions et réaménagements nécessaires à son adaptation aux besoins nouveaux.
Dans ce quartier des cités, à Salaise au moins, la première réalisation publique majeure semble être la construction de l’école Joliot-Curie en 1959.
Il y a également eu des travaux importants pour l’amélioration des réseaux d’assainissement, d’eau potable, d’enfouissement des réseaux secs ou la reprise d’une partie des voiries, de l’amélioration de l’éclairage public.
La reprise en gestion de l’entretien des terrains et des bâtiments du Rhodia-Club depuis une vingtaine d’années marque une transition. Celle du recentrage de l’usine sur la production industrielle et celle des collectivités sur l’organisation de l’espace, de l’habitat et des infrastructures. La réflexion quant au devenir de ce complexe sportif du Rhodia en 2030, à l’issue du bail emphytéotique doit être menée sur ce mandat. Les solutions pourront-elles être portées par la seule commune de Salaise ? Faudra-t-il envisager de nouvelles mutualisations ?
Incontestablement, ce quartier a une place importante dans l’histoire et la construction de nos communes, de notre agglomération. C’est une des racines qui lie les 4 communes de cette agglomération.
Je sais qu’aujourd’hui encore, beaucoup des habitants se sentent des Cités avant d’être Salaisiens ou Roussillonnais. Cela nous oblige, nous élus du territoire, dans la construction de cette grande agglomération.
Sans aucun doute, nous avons ici, un patrimoine remarquable à préserver comme témoin d’un passé que nous devons respecter. Mais nous avons surtout un modèle qui doit nous inspirer. Bien sûr, nous ne devons plus reproduire la ségrégation spatiale et nous devons aménager, urbaniser en créant une meilleure mixité sociale et des espaces publics qui participent au fait de faire société. Mais, ce quartier a 100 ans et le modèle architectural d’un urbanisme organisé, structuré où on limite la consommation de l’espace peut nous inspirer à l’heure où nous devons maîtriser la consommation de foncier. Cet urbanisme, qui s’accompagne d’une vie de quartier simple, à échelle humaine, permet de bien vivre ensemble aujourd’hui encore.
Je remercie l’association du Centenaire des Cités et sa Présidente Danièle Pasuto ainsi que les membres qui ont travaillé à la réalisation de cette magnifique journée en nous permettant de faire une balade dans ces lieux chargés d’histoire humaine.
Merci de votre attention.